Voilà un mot prononcé par une personne du service juridique du CNC lors de notre conversation téléphonique de ce jour, le 5 février 2013. En substance elle m'a conseillé de prendre un avocat vu que l'affaire commence à dater et que l'inspection du travail de Paris n'a pu continuer son enquête faute d'adresse de la production n°7. Dossier transféré, et enterré semble-t'il. Il aurait fallu des contrats selon elle. À ça j'ai répondu que j'ai été bien con mais que j'ai eu envie d'y croire, d'autant que ça a été l'occasion de faire de bonnes photos (ça me motivait et quelques-unes sont très bonnes, dont une de toi). Et ce même si ça partait mal à l'initiative de ta mère qui t'a fait passer le casting et le premier jour de tournage sans me prévenir.
Donc avec cette personne du service juridique du CNC nous nous comprenions, trouvant ce travail comme du travail mais pas assez rares pour elle, ces gens qui le font sans contrats. C'est son milieu professionnel. Pour d'autres c'est l'occasion d'une vie tout à fait extraordinaire, une chance inouïe, faire du cinéma avec un «
réalisateur renommé ». Rien à voir avec du travail à la chaîne. Pourtant ça passera peut-être un ou deux soirs à la télévision, après le boulot affalé sur le canapé. Mais je n'ai pas envie de prendre un avocat pour une question d'argent. J'avais envie que Manuel tienne les paroles qui nous ont fait rester quand il était question d'arrêter en plein milieu du film. Il s'en passe des choses aventureuses lors d'une entreprise cinématographique. Il a été question de « communisme » et de « partage juste et équitable » ; des mots envoyés en l'air en plein tournage, plus que de l'utopie pour le producteur, beaucoup plus, c'est à dire ensuite rien du tout. Peut-être des mots comme ceux du député autour d'une coopérative au marché de Bourg. Et puis chez Reel Suspects dont le catalogue est douteux, pour y trouver des enfants pas si grands. Peut-être que son 110 ou 111 eme long-métrage semblait habituel à Yorgos, un vieux de la vieille qui m'a dit : dans le cinéma 15 minutes de pause casse-croute ensemble, c'est du jamais vu, c'est pas comme ça que ça se passe.
Le mal est fait, qu'il ne dure pas pour toi la prunelle de mes yeux, toi que j'aime le plus tendrement au monde, toi qui enchantait notre quotidien de petits bonheurs simples comme Pioupiou ou chanter tralalala prout prout ! De 3 ans à 5 ans, une semaine sur deux et un peu plus juste tous les deux, toute petite famille tant aimée à côté de l'autre dramatiquement ratée. Et toutes ces après-midi où tu devais aller à l'école, toutes ! Mais pas un matin en retard ces années de maternelle, sauf ta dernière. D'ailleurs presque tout l'été de tes 4 ans lors du tournage de « Tom le cancre » nous travaillions ensembles, dans la même grande équipe, toutes tes vacances en ratant la rentrée. L'année d'avant aussi nous travaillions ensemble, mais une semaine sur deux à l'atelier et aux marchés avec notre stand pour faire des portraits. Depuis 1993 le métier que j'ai le plus exercé est celui de l'art du portrait en photographie noir et blanc, et mes plus nombreux et meilleurs modèles sont des enfants, mes clients ou ceux des boutiques où je travaillais étant leurs parents, ces saisons où avec le patron on s'entendait, le contrat étant une formalité, la négociation une option préférable, parfois difficile à s'engueuler, et c'est arrivé, avortée.
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Quand Mila dort, son silence règne. |
Nous partagions notre vie Mila, ce n'est plus maintenant le cas. Ce n'est pas pareil quelques jours de ta vie qu'une bonne moitié des jours de ta vie, ce n'est pas égal même si on te dit que c'est normal, on ne va pas te le faire croire naturel. J'aimerais que ta mère habitant à 4 kilomètres d'ici oublie avoir maintenu sa requête que nous ne nous voyions qu'en lieu
médiatisé, déjà que je ne peux plus faire de choix te concernant, ce qui n'est pas invraisemblable selon notre juge Mila, et selon ta maman je ne suis même pas sensé passer te dire bonjour à l'école. Je dois me contenter d'être parfois prévenu de ses choix, maintenant de plein droit, c'est ça qui change. Je n'ai pas envie de prendre un avocat pour t'élever Mila, pas plus de prendre un avocat pour être respecté alors que 3 ne l'ont déjà pas fait, ni pour nous, ni pour de l'argent. J'ai envie de te dire bonjour en passant, avec un café offert par ta maman ce serait merveilleux cette habitude, même si ta maman et moi nous ne dormons plus ensemble, nous sommes presque voisins et pour toujours tes parents. Surtout je n'ai pas envie que quelqu'un qui ne t'a pas désiré, ni nourri, ni changé, ni soigné, ni rien d'autre qu'un dossier de plus, donc quelqu'un qui ne sait pas nos vies, qui ne t'aime pas, décide pourtant avec qui tu passes ton temps entre l'école, tes chambres, et tes quelques autres activités, que quelques uns qui ne t'aiment pas décident de ta vie. Je veux Mila qu'on nous laisse vivre, continuer mieux qu'avant que ce putain de film ne vienne foutre la merde ! Et tout ça parce que ta maman ne le veut plus et des mauvaises raisons pour nous l'imposer, mais d'après elle ça n'a absolument rien à voir avec « Tom le cancre », rien. Là, je dis aussi que c'est invraisemblable, car je ne crois pas du tout devoir des excuses au «
réalisateur renommé » ; ce qu'elle a essayé de me faire croire sans doute elle-même très convaincue par l'entreprise où elle nous a conduit jusqu'au bout, ce manque de moyens que sa requête en divorce voulait faire constater.
Et cette personne du service juridique du CNC dit que c'est « invraisemblable » qu'il n'y ait pas d'autres parents que moi pour y trouver à redire, ni personne d'autre encore. Une douzaine d'enfants comme toi ayant travaillé sans en avoir vraiment le droit. Mais moi j'ai à dire, jusqu'à crier et insulter très en colère, à me révolter, à en souffrir. Mais rien. Si ça passe sur le journal un coup pour sortir bientôt, un coup pour que les bobines restent dans le placard dans le texte, et titre pour la couverture "un film ardéchois en tête d'affiche". Un père est séparé de son enfant pour de mauvaises raisons, et c'est aussi normal ici-bas que l'intervention de la gendarmerie pour le faire de force. Tu risques de t'en souvenir toute ta vie comme d'un traumatisme profondément enfoui, des cicatrices pour l'un et l'autre cet été suivant l'autre. On pourrait écrire que ce long-métrage est aussi inattendu qu'invraisemblable ce serait égal, et à beaucoup tout aussi normal, même pour nos voisins. C'est la vie, ça ne fait que passer. Un
document administratif ignoré par un
député n'a pas plus de valeur.
Mila je t'aime, je te respecte, je sais que tu m'aimes, que tu me fais confiance, mais on ne nous respecte pas, on ne nous fait pas confiance, on ne nous aime pas. Et quand je dis "on" ce sont en fait des gens qui ne nous connaissent pas bien, ils nous y obligent vraiment, d'autres qui nous connaissent le leur demandent, ceux qui nous séparent dont une qui te connait comme elle t'a faite, je le dis encore, ils ont de mauvaises raisons, mais si c'est dans un cas aussi de l'amour, il est vache et j'en ai très mal. Je sais que tu le sais et qu'on est bien obligé de l'accepter pour le moment encore. Moments difficiles à passer, mais ça passera, en laissant des traces comme ce film que je n'ai pas vu, et que je n'ai toujours pas envie de voir, non vraiment pas comme j'aime aux larmes pleines te voir toi, rire ces matins là réveillés ensemble.
Souviens-toi Mila, pour toujours là au creux de ton cœur il y a des larmes pleines d'amour déposées par ton papa, arrachées à la prunelle de mes yeux.